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PERINATALITE 
 


Périnatalité & Histoire........les naissances : l'accouchement, les matrones et les sage-femmes
Périnatalité & Démographie : la naissance et son rituel dans la société d’Ancien Régime
Périnatalité & Sociologie 1  : l’infanticide et la mortalité infantile
                                       les abandons d'enfants et l'hôpital des Enfants-Trouvés
                                       les enfants abandonnés au 18ème et 19ème siècles en Europe
                                       la recherches des parents d'un enfant trouvé
Périnatalité & Sociologie 2  : l'allaitement maternel, croyances et idées
                                       le métier de nourrice et l’industrie nourricière, en France
                                       le tétaïre : un métier ahurissant
                                       le meneur
Périnatalité & Sociologie 3   : les dessous étymologiques
 
                                                  Périnatalité & Histoire 
Dans les villages de la France médiévale et moderne, jusqu'au XVIIIe siècle, les naissances avaient lieu à la maison, c’est-à-dire dans un espace quotidien, un cadre affectif, privé, intime donc, et le groupe des hommes, y compris le mari, est tenu à l’écart.  les  femmes sont seules à aider et soutenir la future mère.
 A partir des siècles classiques, les conditions de la naissance changent...
L’accouchement sous l’Ancien Régime par Thierry Sabot

Moment périlleux pour la mère et l’enfant, l’accouchement, sous l’Ancien Régime,[...] est d’abord une affaire de femmes, de femmes âgées de préférence ; aussi les hommes en sont-ils exclus autant par décence que par incompétence.
La femme accouche toujours chez elle, dans la pièce principale de sa maison, entourée de sa mère, de ses soeurs et parfois de quelques voisines. Une sage-femme, appelée aussi matrone ou basle, l’assiste dans sa délivrance. Cette dernière était souvent désignée par une assemblée de femmes qui la choisissaient pour son expérience. Elle était ensuite avalisée par le curé qui se devait de garantir ses qualités morales, ses bonnes moeurs et surtout son aptitude à ondoyer dans les règles de l’église le nouveau-né à la santé fragile.
La femme enceinte accouche généralement en position assise, non déshabillée. Il faudra attendre le XVIII° siècle pour que les manuels conseillent l’accouchement allongé.
Les conditions minimales d’hygiène étaient loin d’être respectées et, comme le note l’historien Pierre Goubert, la matrone opérait souvent avec des mains, des doigts, des ongles, non lavés. Grâce à sa connaissance des herbes, des prières et de la magie populaire « elle confectionnait des pansements rien moins que stériles où entraient parfois des toiles d’araignée, des feuilles ou des bestioles pilées, des excréments séchés ».
Ainsi la cérémonie relève-t-elle souvent d’un rite de passage ou l’intervention de la magie est destinée « à exorciser la peur autant que la douleur, tout en assurant le mieux possible la survie de la mère et de l’enfant » (cf Muchembled).
Après avoir été coupé, le cordon ombilical est alors mis en contact avec la tête de l’enfant pour lui assurer une longue vie.
Puis, parfois, le crâne est remodelé par la sage-femme, enfin le corps est lavé dans des décoctions diverses. J. Heroard, dans son Journal sur l’enfance et la jeunesse de Louis XIII, 1601-1628, nous livre quelques détails sur les premiers soins apportés à un nouveau-né royal (Louis XIII est né le 27 septembre 1601) : « Le 11 novembre 1601, on lui a frotté la tête la première fois. Le 17 novembre 1601 on lui a frotté le front et le visage avec du beurre frais et de l’huile d’amandes douces pour la crasse qui paraissait y vouloir venir. Le 4 juillet 1602, il a été peigné pour la première fois, y prend plaisir, et accommode sa tête selon les endroits qu’il lui démangeait. Le 3 octobre 1606, on lui a lavé les jambes dans l’eau tiède... c’est la première fois. Le 2 août 1608, baigné pour la première fois ».
Il va sans dire que ces délicates attentions ne s’appliquent pas aux enfants du peuple. Dans les campagnes comme dans les villes, les accidents restent fréquents et provoquent souvent des hécatombes de mères et d’enfants (Le taux de mortalité des femmes âgées de vingt à trente cinq ans est alors supérieur à celui des hommes du même âge). Par ignorance, les jumeaux et leur mère étaient d’ailleurs presque toujours condamnés d’avance. De plus, l’Eglise interdisait la césarienne sur une femme vivante et préconisait de sauver la vie spirituelle de l’enfant par un baptême dans l’urgence plutôt que la vie temporelle de la mère. Ceci explique la pratique courante de l’ondoiement sur l’enfant « dont on affirmait trop souvent qu’il avait donné signe de vie, afin de lui garantir le Paradis » (cf Goubert).
Enfin, notons que les superstitions, les coutumes populaires autant que les directives de l’Eglise prescrivaient l’abstinence sexuelle après un accouchement (un rite de relevailles de quarante jours) car la jeune mère était alors considérée comme impure durant cette période. 

Histoire de la naissance en France  

Marie-France Morel, agrégée d’histoire, présidente de la Société d’Histoire de la Naissance..

« Deux mutations essentielles, l’une concernant les accompagnants, l’autre le lieu de l’accouchement, vont changer radicalement les conditions de la naissance. C’est, aux XVIIe et XVIIIe siècles, l’apparition d’abord timide, puis décidée, d’hommes accoucheurs. Au XIXe siècle, les développements de l’obstétrique, de l’anesthésie et de l’hygiène améliorent les conditions d’accueil dans les hôpitaux et conduisent au XXe siècle au basculement de la majorité des accouchements du domicile vers le milieu hospitalier, qui aboutit à une médicalisation
totale de la naissance.

 La naissance traditionnelle jusqu’au XVIIème siècle

[...] La naissance a lieu dans la pièce la plus utilisée, la salle commune, qui est souvent la seule à posséder une cheminée : à l’aide d’un grand feu de bois, on maintient la chaleur, essentielle à la mère et à l’enfant.
La pièce tout entière est calfeutrée, comme un véritable huis clos, à la fois pour se prémunir du froid et pour empêcher les mauvais esprits d’entrer. Chez les plus pauvres, on accouche fréquemment à l’étable : les bêtes familières y donnent une chaleur régulière et la paille est facile à nettoyer ; pour les gens des XVIe et XVIIe siècles, la naissance de l’Enfant Jésus est moins extraordinaire qu’il n’y paraît.
La parturiente est assistée par par un entourage exclusivement féminin : au centre, la matrone (appelée «la femme qui aide», ou la «mère-mitaine», ou la «bonne mère») est bien connue de tout le village ; elle est, en général âgée, et donc disponible ; elle a appris son métier sur le tas, sans étudier. Souvent fille ou nièce de matrone, il lui a suffi de réussir quelques accouchements pour avoir la confiance des villageoises ; elle ne sait en général ni lire ni écrire, et le curé qui surveille ses compétences ne lui demande que de savoir réciter les formules du baptême, au cas où elle devrait ondoyer un nouveau-né mal en point. Elle est souvent aussi celle qui s’occupe de la toilette des morts ; ce double rôle indique bien comment, dans l’ancienne société, on reconnaît la proximité fondamentale entre les deux extrémités de la vie. Elle doit être à la fois agréée par le curé (elle doit savoir baptiser correctement), et par les familles, dont elle connaît souvent les secrets.
  Autour de la matrone, pour l’aider et soutenir la future mère, les parentes, amies, voisines sont là, accourues dès l’annonce des premières douleurs, sans qu’il soit besoin d’une invitation formelle : chaque naissance est l’affaire de toutes les femmes du village et n’est pas comme aujourd’hui un événement intime, privé, solitaire ou exclusivement familial. Le rôle de ces « commères » n’est pas aussi insignifiant qu’il y paraît : avant la naissance, elles aident à préparer le lit, les linges, le feu, l’eau chaude, le fil. Pendant le travail, elles évoquent leurs propres couches, donnent leurs petites recettes et disposent les amulettes (ceinture de la Vierge, sachet d’accouchement, pierre d’aigle, bézoard, rose de Jéricho) qui aident au travail et dissipent l’angoisse de la parturiente ; pendant les moments difficiles, elles calment la parturiente, la maintiennent, l’essuient et prient à haute voix la Vierge ou sainte Marguerite ; elles rassurent et accompagnent. Après la naissance, elles lavent et emmaillotent le bébé, préparent pour l’accouchée une soupe reconstituante et nettoient sommairement la pièce. Les jours suivants, elles reviennent pour commenter l’événement et aider aux divers travaux domestiques que ne peut accomplir la nouvelle mère restée alitée. Cette solidarité féminine constitue un élément sécurisant dans le rite de passage angoissant qu’est une première naissance.
  En revanche, les jeunes filles qui n’ont pas encore l’âge de cette étape rituelle et qui n’ont pas encore enfanté sont tenues à l’écart, ainsi que les enfants. En principe, les hommes ne sont pas admis, sauf parfois le père, dont la force et l’expérience du vêlage des bêtes peuvent être utiles en cas d’accouchement difficile. Dans certaines régions, c’est lui qui, à la naissance, reçoit l’enfant dans sa propre chemise, toute chaude encore de sa chaleur. Ce geste réchauffe le bébé ; il signifie aussi que, dès la sortie du ventre maternel, c’est le père qui prend en charge sa socialisation.
  Dans la France traditionnelle, la femme accouche toujours « à couvert », sous les draps et les vêtements, car il ne convient pas qu’elle se montre nue, même partiellement, à son entourage. En revanche, elle peut prendre diverses postures, si elle souhaite accoucher plus commodément. Certaines positions sont plus pratiquées que d’autres, suivant les provinces : la plus fréquente est celle où la femme est sur le dos, à demi couchée et à demi assise, les reins surélevés par des coussins ; elle peut être soit sur son propre lit, soit sur un petit lit pliant, placé au plus près du feu, appelé « lit de misère » ; deux femmes lui maintiennent alors les genoux écartés. En Angleterre, la future mère, couchée de côté sur le bord du lit, les genoux pliés, est accouchée par derrière. Ailleurs, elle peut aussi être assise sur une autre femme, sur le bord du lit, ou sur une sorte de chaise percée, destinée spécialement aux accouchements (très fréquente en Alsace, Lorraine, Flandre et dans les pays germaniques). Dans d’autres régions, la femme accouche debout, les bras levés et appuyés sur une barre de bois ; ailleurs, elle peut être à genoux , sur de la paille, appuyée sur une chaise. Cette relative liberté ne signifie pas que la douleur est abolie. Elle est considérée comme inévitable, en respect du précepte biblique : “Tu enfanteras dans la douleur ».
  Malgré son climat chaleureux, il ne faut pas trop regretter l’accouchement d’autrefois : à cause de l’impuissance
de la médecine de l’époque ou de l’impéritie des matrones, trop de femmes en meurent et bien d’autres sont mutilées à vie, ainsi que leurs enfants. On estime à 1 ou 2% la mortalité des femmes en couches dans la France du XVIIIe siècle, qu’il s’agisse des conséquences d’accouchements impossibles par suite d’une mauvaise
présentation ou de l’étroitesse du bassin (la césarienne est quasiment impraticable en l’absence d’anesthésie et de techniques de suture de l’utérus), d’hémorragies du post-partum ou de fièvres puerpérales. Ce risque se renouvelant à chaque grossesse, comme les femmes ont en moyenne cinq enfants, ce sont 10% des femmes en âge de procréer qui meurent à la suite d’un accouchement.
  Seules les pauvresses ou les filles mères, qui n’ont nulle part où aller, accouchent à l’hôpital, qui n’est pas un établissement de soins, mais un lieu d’assistance, où l’on recueille les malades pauvres ; on y meurt beaucoup plus qu’ailleurs, à cause de l’entassement et de la contagion des « fièvres » qu’on ne sait pas maîtriser. En temps ordinaire, 10 % des accouchées meurent, mais, à certains moments, la mort en emporte plus de la moitié.  

Les transformations de la naissance à domicile au
XVIIIe siècle

  Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les couches cessent d’être accompagnées uniquement par des femmes ; des accoucheurs commencent à apparaître dans les chambres de gésine.
 Traditionnellement, les hommes de l’art n’ont pas le droit d’assister aux couches par «décence». Mais des chirurgiens peuvent être parfois appelés pour délivrer des femmes dont le fœtus est mort (ils se servent alors de leurs instruments pour dépecer le corps). Peu à peu ces hommes commencent à rédiger des traités d’obstétrique et à vouloir faire des accouchements ordinaires, pour accroître leur exercice et gagner davantage. A partir des années 1650, la «mode» de l’accoucheur se répand dans la noblesse et dans la bourgeoisie. Non sans réticences cependant ; certaines parturientes sont effrayées par les chirurgiens ; les maris craignent une possible séduction de leur femme par un homme jeune, qui est pourtant tenu d’opérer sans voir les parties génitales de la patiente. C’est souvent à la faveur d’un accouchement «contre nature» réussi, qu’un chirurgien parvient à gagner la confiance d’une famille ou d’un quartier. Les femmes, aussi, leur sont de plus en plus favorables : au début, elles les acceptent de manière exceptionnelle pour les accouchements difficiles ; puis, l’habitude étant prise, elles les convoquent d’emblée, pour les accouchements suivants. Plus profondément, au sein de chaque individu, la conscience de la vie et de la mort est en train de changer ; désormais, les femmes n’acceptent plus de mourir en couches ; elles veulent la vie sauve pour elles et pour leurs bébés.
  L’arrivée de l’accoucheur dans un monde traditionnellement réservé aux femmes transforme les pratiques de la naissance.Tout d’abord, il fait sortir la plupart des «commères», sous prétexte qu’il faut faire silence et aérer la pièce ; il fait aussi ouvrir les fenêtres et réduire le feu, afin que l’air circule ; toutes attitudes qui vont totalement à l’encontre des traditions anciennes qui valorisent la solidarité féminine, la chaleur et le renfermement. Certes, l’accoucheur agit ainsi pour la sécurité de la femme, mais celle-ci se trouve de plus en plus seule, face à lui. Il lui impose aussi la position la plus commode pour lui et la plus dépen- dante pour elle, en la faisant coucher sur le dos, ce qui est une gêne par rapport à la liberté des anciennes postures. Dans l’obstétrique savante du XVIIIe siècle, seule la position allongée sur le dos est convenable ; les autres positions sont condamnées au nom de la décence, car elles «répugnent à l’humanité» ; la femme qui les pratique peut être comparée à une bête !
  L’accoucheur réussit également à s’imposer parce qu’il travaille avec de nouveaux instruments relativement efficaces, les leviers et forceps, mis au point conjointement en France et en Angleterre à la fin du XVIIème siècle. Matrones et sages-femmes, même instruites, n’ont théoriquement pas le droit de s’en servir. Certains abusent du pouvoir conféré par les instruments, employés à n’importe quel moment et estropient ou font mourir mères et enfants. Mais, le plus souvent, les instruments (surtout le forceps courbe de Levret et de Smellie) représentent un progrès : ils permettent la naissance de bébés qui autrefois seraient restés enclavés dans le bassin, provoquant la mort de leur mère. Grâce à la pratique instrumentale, l’accouchement cesse d’apparaître comme un acte naturel : il nécessite le recours à un homme de l’art, à la fois savant et fort. C’est un premier pas vers la médicalisation de la naissance.
  Même si les hommes sont de plus en plus nombreux à pratiquer l’obstétrique, les matrones font encore l’essentiel des accouchements, surtout à la campagne. A partir des années 1750, en France, elles sont l’objet de critiques virulentes de la part des médecins. Comme l’écrit Joseph Raulin en 1770, « tous les jours, elles font périr en même temps la mère et l’enfant, faute des connaissances nécessaires et requises pour les conserver ». En particulier, elles sont accusées de tirer inconsidérément sur tout ce qui se présente hors de la matrice, qu’il s’agisse d’un bras, d’un pied ou d’une épaule, au risque de démembrer l’enfant. Si le fœtus reste enclavé dans le bassin de la parturiente, elles n’ont d’autre ressource que de le sortir par petits morceaux, à l’aide d’un crochet, car il importe de sauver plutôt la mère (déjà adulte et qui pourra avoir d’autres enfants) que le nouveau-né (qui est, de toute façon, une petite existence fragile).
  A partir de 1760, pour empêcher les mères et les enfants de mourir en trop grand nombre, le pouvoir royal s’efforce alors de transformer les matrones de campagne en véritables sages-femmes en leur donnant une rapide formation médicale. A l’initiative d’une maîtresse sage-femme, Mme du Coudray, formée à l’Hôtel-Dieu de Paris, des cours itinérants sont organisés dans toute la France de 1759 à 1783, avec une pédagogie originale à base de récitation de leçons et de travaux pratiques sur un mannequin d’osier et de tissu. Après le passage de Mme du Coudray dans une province, les chirurgiens locaux continuent à assurer les cours : jusqu’à la Révolution, deux cents démonstrateurs forment ainsi dix à douze mille sages-femmes.

 

La médicalisation de la naissance au XIXème siècle

 

  A partir de 1803, la formation des sages-femmes s’améliore, puisqu’elles doivent suivre pendant un an, dans des écoles départementales, des cours théoriques et apprendre la pratique, non plus sur des mannequins, mais auprès des accouchées des hôpitaux. En 1894, leur formation est renforcée et dure deux ans. En théorie, elles n’ont le droit de faire que les accouchements naturels à mains nues et doivent appeler le médecin pour les accouchements « laborieux » ou contre-nature, qui nécessitent le recours au forceps. Ce partage des tâches souffre néanmoins des exceptions : ainsi à la Maternité de Port-Royal à Paris, siège d’une école de sages-femmes réputée, Marie-Louise Lachapelle, sage-femme en chef de 1798 à 1821, effectue couramment les accouchements au forceps, sans que le chirurgien en chef attaché à la Maternité puisse l’évincer. Les femmes qui lui succèdent dans cette fonction conserveront cette prérogative. C’est seulement en 1881, avec la création du corps des accoucheurs des hôpitaux, que les sages-femmes en chef de Port-Royal cessent d’avoir le droit d’utiliser les instruments. Quant aux sages-femmes de campagne, qui doivent faire face seules aux situations d’urgence, il n’est pas rare qu’elles aient un forceps dans leur trousse.
  Pendant les deux premiers tiers du XIXème siècle, malgré une meilleure formation des soignants, les hôpitaux restent encore des lieux qui n’accueillent que les filles mères ou les pauvresses. Les naissances y sont plus dangereuses qu’à domicile. Dans les années 1850, la mortalité en couches à la Maternité de Port-Royal est dix-neuf fois plus forte qu’en ville. Ce sont surtout les épidémies de fièvre puerpérale, récurrentes jusqu’en 1880, qui déciment les nouvelles accouchées. On ne connaît ni les causes ni les vecteurs de sa propagation, même si on la sait très contagieuse. Comme on pense que le mal se propage par les « miasmes » de l’air, on se contente d’aérer les locaux par des courants d’air, après avoir isolé les malades ; le personnel n’est pas encore en blouse blanche et se lave rarement les mains, transmettant ainsi, sans le savoir, avec les doigts, les pansements et les instruments, les germes d’une femme à l’autre. Il faudra un changement de mentalité radical pour que les médecins, à la suite des travaux de Semmelweis à Vienne, de Lister à Edimbourg, et de Pasteur à Paris, acceptent de reconnaître qu’ils sont les principaux agents de transmission de l’épidémie. À partir de 1878, des pratiques pastoriennes rigoureuses d’asepsie, d’antisepsie et de stérilisation permettent une baisse radicale de la mortalité maternelle. Peu à peu l’hôpital cesse de faire peur et apparaît comme un lieu aseptisé, où l’on pratique une médecine qui guérit.
  En 1847, l’anesthésie, d’abord inventée pour la chirurgie, est appliquée aux accouchements. En 1853, la reine Victoria, donnant naissance à son huitième enfant sous chloroforme, popularise l’accouchement « à la reine ». En France, les médecins, conscients des effets secondaires de l’anesthésie, la pratiquent peu. En revanche, dans les pays anglo-saxons, les femmes, informées et regroupées très tôt en associations actives, sont nombreuses à la demander. Paradoxalement, la volonté des femmes de ne plus souffrir les conduit à dépendre plus exclusivement du médecin, car la sophistication de plus en plus grande des méthodes d’anesthésie les oblige à aller accoucher à l’hôpital.

 

L’accouchement à l’hôpital au XXème siècle
 
  En France, comme aux Etats-Unis, c’est dans les années 1920-30 que la naissance en milieu médicalisé se répand, d’abord dans les grandes villes. En France, les femmes acceptent ce changement pour diverses raisons, dont la principale est que l’Etat les aide davantage au moment de leurs couches. L’accouchement devient un acte médical, et non plus un acte d’entraide ou d’assistance, comme autrefois.
  Dans le même temps, l’hôpital se transforme. Ainsi, de 1922 à 1929, la très ancienne «maison d’accouchement» de Port-Royal à Paris, voué à l’assistance des femmes les plus pauvres, est complètement transformée. Elle devient un établissement moderne et plurifonctionnel : maison d’accouchement, mais aussi lieu de consultations de grossesse, de gynécologie et de puériculture, laboratoire d’analyses, centre de donneuses de lait, consultations prénuptiales, dispensaire anti-syphilitique et maternité pour tuberculeuses.
  Malgré des progrès évidents accomplis en matière de sécurité et de confort, l’hôpital garde longtemps une image défavorable : les femmes qui en ont les moyens préfèrent toujours accoucher à domicile. L’accouchement à la maison est effectué en général par une sage-femme, ou un médecin généraliste dont la formation obstétricale est assez sommaire (trois semaines de stage hospitalier). À la campagne, les grands hôpitaux modernes n’existent pas : les sages-femmes viennent à domicile, ou surveillent les accouchements dans de petites maternités rurales de quelques lits, peu équipées, où le médecin ne passe que de façon épisodique. Jusqu’en 1950, deux pratiques coexistent : la bourgeoisie urbaine et les paysannes accouchent plus volontiers à la maison, et les classes populaires urbaines, plutôt en milieu hospitalier. À partir de 1952, l’évolution s’accélère : la majorité des accouchements a lieu désormais en milieu hospitalier. [...]
Article paru dans adsp n° 61 ∕ 62 décembre 2007 – mars 2008    
NB : Dans le monde, dans 80% des ethnies, la position verticale est dominante : la femmes accouche debout, assise, accroupie ou à genoux. Ce n’est que depuis le XVIIIème siècle que la position couchée sur le dos est devenue la norme imposée par le corps médical.
En France, il y a seulement deux siècles, «on accouchait encore à genoux ou debout devant la cheminée». "Venir au Monde", Lise Bartoli, Payot.
 Lexique  
Matrone : du latin mater, matris, qui signifie "mère".
La matrone, choisie au sein du village parmi les femmes qui avaient eu le plus grand nombre d’enfants ; ne devant son titre qu'à sa propre fécondité, elle était, de fait, toujours mariée ou veuve, d'âge mûr ou parfois fort âgée. Femme charitable qui s’était vue reconnaître une certaine autorité en la matière, son assistance était informelle : elle rendait un service pour soulager la «femme en travail». De basse condition, modeste, elle n’exigeait pas de gages : à la campagne, encore plus qu’à la ville, elle était rétribuée peu, et, le plus souvent, symboliquement, en nature.
 « Issue de la communauté dans laquelle elle pratique, elle a été investie de ce "pouvoir" d’assister les accouchements par ses semblables. Elle est donc à la fois respectée et crainte. Un certain mystère émane de sa fonction qui la met en rapport avec les vivants (elle "lève" les enfants) et les morts (elle fait aussi la toilette des morts et dirige les veillées mortuaires) : elle est "l’instrument des passages" (Mireille Laget). Nécessaire à la communauté qui est tributaire de ses "petits secrets", la matrone d’autrefois jouit encore d’une étonnante liberté d’action.
En effet, jusqu’à la fin du XVIIe siècle, pratiquement aucune contrainte ne s’exerce sur sa personne. Elle préside aux couches, règne littéralement sur la chambre de l’accouchée. Même sénile, elle garde de l’autorité sur les naissances.[...]
* Dans le sens de « sage-femme », le mot matrone existe en français depuis le XIVe siècle.

sage-femme  :  
  Celle dont la profession est d’assister les femmes en couches. Le terme existe en français depuis1375
"Sage" vient du latin sapiens  en passant, au XIIe siècle, par les formes saige  et saive ; sapiens, dérivé du verbe sapere, "savoir", désigne donc celle ou celui "qui a la connaissance des choses".
Le mot "sage" signifie donc, en l’occurrence, « experte, habile dans son art ».
  La sage-femme avait pour rôle et d’aider les femmes à accoucher, et d’ondoyer les nouveau-nés en danger de mort, tout de suite après leur naissance, en attendant la cérémonie du baptême à l’église si l’enfant survivait.
 lien à consulter pour l'époque contemporaine : "Sage-femme en milieu rural en 1928, à l'âge de 20 ans..".
La Revue Française de Généalogie (10 Av. Victor Hugo, 55800 Revigny sur Ornain) a publié un numéro hors série sur LA NAISSANCE du XVIème au XIXème siècle. Au chapitre la sage-femme :
- lorsque l’enfant paraît-
- quel est le rôle de la matrone ?
- comment était-elle choisie ?
- la sage-femme avant l’accoucheur
- le serment prêté devant le curé
- sa compétence professionnelle
- son matériel
- l’évolution et les progrès du métier au XVIIIème siècle
  Dans un village, il suffisait de prêter serment devant monsieur le curé.
  Dans les grandes villes, on pouvait trouver des corporations de sages-femmes (s’il en existe un recensement, et si leurs archives ont été conservées, on peut les trouver dans la série E des Archives départementales).
A  Paris, dès 1394, les sages-femmes  dépendaient du tribunal du Châtelet
  Les règlements relatifs à l’exercice du métier de sage-femme furent imprimés vers 1580.
Les sages-femmes, qui recevaient une instruction sommaire par des chirurgiens du Châtelet, étaient interrogées par des médecins avant d’être autorisées à exercer. Elles étaient une cinquantaine à exercer à Paris en 1699, officielle-ment agrégées à la communauté des chirurgiens, et environ 200 vers 1790 (pour 20.000 naissances annuelles).
  Les brevets d’apprentissage devaient être enregistrés au greffe de la communauté des chirurgiens. Les statuts de mai 1768 réorganisèrent le collège de chirurgie sans modifier la situation faite aux sages-femmes par les statuts de 1699.
Quelques progrès furent apportés par l’enseignement de Madame Du Coudray, maîtresse sage-femme brevetée par le roi qui se déplaça de ville en ville, formant chirurgiens, accoucheurs et sages-femmes, à l’aide d’un mannequin de démonstration articulé.

Baptême :

« Par le sacrement du baptême, l’individu entre dans la communauté des chrétiens. En raison des risques de l’accouchement, la sage-femme peut procéder, s’il y a danger de mort, à l’ondoiement du nouveau-né en présence de deux témoins. Si l’enfant survit, on peut avoir recours à un « supplément  de cérémonie » de baptême.

 La crainte des parents est d’avoir un enfant mort sans baptême, puisque son âme erre sans fin dans les limbes. Dans beaucoup de régions, il existe des sanctuaires "à répit" : les enfants mort-nés y ressuscitent pendant quelques instants et on peut procéder au baptême.

 Les statuts synodaux insistent, surtout après le concile de Trente, sur l’obligation de baptiser les nouveau-nés "le plus tôt possible" ou "aussitôt que les parents pourront les porter à l’église sans danger". Mais dès le XVII° siècle, la règle devient plus stricte. A moins d’une dispense accordée par l’évêque, l’enfant doit être baptisé dans les vingt-quatre heures, selon les statuts synodaux et les déclarations royales de 1698 et 1724. Les sages-femmes doivent avertir les prêtres de la paroisse de la naissance des enfants "sitôt  qu’elle sera arrivée "... »

Lexique historique de la France d’Ancien Régime * Guy Cabourdin et Georges Viard, Lexique historique de la France d’Ancien Régime, Armand Colin, 1981.

à consulter aussi : Périnatalité & Sociologie 3   : les dessous étymologiques


Les devoirs de la sage-femme* chapeautée par l'Eglise
Il existait déjà en certains endroits une tutelle du corps ecclésiastique, mais elle devient plus manifeste et plus étroite à partir de la Réforme. L’Eglise catholique appelle de ses vœux une "bonne matrone" possédant la crainte de Dieu, la piété, les bonnes mœurs et la connaissance du sacrement du baptême. L’aptitude médicale est secondaire à ses yeux: il ne s’agit pas encore d’une soumission professionnelle de la sage-femme, mais seulement d’un contrôle de son orthodoxie morale et religieuse. Ainsi l’Eglise force-t-elle "la porte de la chambre" en justifiant cette intrusion par l’importance de la lutte contre l’hérésie, les pratiques de sorcellerie et la complicité d’avortement ou d’infanticide (dont les femmes sont plus vivement accusées en cette période d’affrontements confessionnels). L'Eglise veut lui enseigner, par le biais du curé, l’administration correcte du "petit baptême" (ondoiement) afin de sauver l’âme de l’enfant susceptible de ne pas survivre au-delà de quelques instants. Sans ce baptême minimal, effectué quelquefois in utero ou sur le seul membre sorti, la sage-femme se rendrait coupable de "non-assistance spirituelle à fœtus en danger" car ce dernier deviendrait un refuge pour le diable (Mireille Laget). La sage-femme prête désormais serment* devant le prêtre. Selon Jacques Gélis, l’Eglise a, de cette façon, "enfoncé un coin dans la solidarité des femmes".
Modèle de serment, proposé par l’Église en 1786 pour les sages-femmes formées à l’Hôtel-Dieu de Paris

«Je […] promets et jure à Dieu, le créateur tout puissant, et à vous, Monsieur qui êtes son ministre, de vivre et de mourir dans la foi de l’église catholique, apostolique et romaine, et de m’acquitter, avec le plus d’exactitude et de fidélité qu’il me sera possible, de la fonction qui m’est confiée. J’assisterai de nuit comme de jour dans leurs couches les femmes pauvres comme les riches ; j’apporterai tous mes soins pour qu’il n’arrive aucun accident ni à la mère et ni à l’enfant. Et si je vois un danger qui m’inspire une juste défiance de mes forces et de mes lumières, j’appellerai les médecins ou les chirurgiens ou des femmes expérimentées dans cet art pour ne rien faire que de leur avis et avec leur secours. Je promets de ne point révéler les secrets de familles que j’assisterai ; de ne point souffrir qu’on use des superstitions ou des moyens illicites, soit par paroles, soit par signes, ou de quelque autre manière qui puisse être, pour procurer la délivrance des femmes dont les couches seront difficiles et paraîtront devoir être dangereuses ; mais de les avertir de mettre leur confiance en Dieu, et d’avoir recours aux sacrements et aux prières de l’église. Je promets aussi de ne rien faire par vengeance, ni par aucun motif criminel ; de ne jamais consentir sous quelque prétexte que ce soit à ce qui pourrait faire périr le fruit ou avancer l’accouchement par des voies extraordinaires et contre nature ; mais de procurer de tout mon pouvoir, comme femme de bien et craignant Dieu, le salut corporel et spirituel tant de la mère que de l’enfant. Enfin, je promets d’avertir sans délai mon pasteur de la naissance des enfants ; de n’en baptiser ou de ne souffrir qu’on en baptise aucun à la maison, hors le cas d’une vraie nécessité, et de n’en porter aucun à baptiser aux ministres hérétiques.»
Vers une tutelle des autorités publiques et du corps médical

  Tandis que le contrôle par l’Eglise devient systématique au XVIIIe siècle, on assiste au déplacement des instances d’élection et de surveillance de la sage-femme. L’approbation communautaire et religieuse ne suffit plus: elle doit maintenant obtenir l'autorisation d’exercer auprès du collège des médecins ou du corps des chirurgiens de sa ville, après un examen officiel de ses compétences et parfois le payement d’une taxe. Dans les zones rurales et montagneuses, cette institutionnalisation et cette médicalisation de l’art des accouchements interviendront plus tardivement. Les femmes finiront tout de même par perdre, au profit des médecins et des accoucheurs, leur monopole sur la naissance et le corps du petit enfant, mais c’est une autre histoire… »
Mireille Laget, Naissances, l'accouchement avant l'âge de la clinique, Paris, Seuil, 1982.
Jacques Gélis, «L'accoucheuse rurale au XVIIIe siècle…», in Les Intermédiaires culturels. Actes du colloque du Centre méridional d'histoire sociale des mentalités et des cultures, Université de Provence, 1978, Paris, Champion, 1981, p. 127-140.

Article  issu du texte publié par Eline Demaret : L'accouchement, la sage-femme et l'Eglise jusqu'au XVIIIe siècle.

et, à consulter absolument :"Les dessous étymologiques de la sage-femme" texte .pdf sur le site de l'Universitélibre de Bruxelles

                                                                                                     ou texte .word sur notre site

Annexe :

Analyse, par Marie-France MORELdu livre de Jacques Gélis, La sage-femme ou le médecin. Une nouvelle conception de la vie

"Cet ouvrage est le deuxième volume de la grande somme sur histoire de la naissance entreprise par Jacques Gélis. En 1984, dans L’arbre et le fruit. La naissance dans l’Occident moderne, il avait magistralement reconstitué une anthropologie de la mise au monde, à travers les mythes, croyances, rites et pratiques qui entourent la grossesse et l’accouchement, dans les sociétés paysannes anciennes. Monde quasi immobile (quoique les rites puissent souvent être datés) sur lequel règne la matrone, présente aux deux extrémités de l’existence et symbolisant une conception cyclique de la vie où chaque enfant qui naît remplace un ancêtre décédé. Retraçant les changements essentiels survenus dans la mise au monde à l’époque moderne ce deuxième volume montre la matrone traditionnelle peu à peu évincée, d’abord par la sage-femme pourvue d’une formation médicale, puis par l’accoucheur. Vaste mutation sur laquelle Gélis travaille depuis longtemps et qu’il a explorée dans de nombreux articles, heureusement repris dans ce volume.

La première partie « Le temps de la sage-femme », retrace l’évolution de la profession : dès la fin du Moyen Age, dans les villes d’Europe du Nord, pour assister les populations urbaines les plus pauvres, sont créées des charges municipales de sages-femmes pensionnées. En même temps, d’autres se constituent une pratique privée, auprès des familles aisées ou des femmes du plat pays. Ainsi la célèbre Louise Bourgeois à ses débuts, ou la néer­landaise Catarina Schrader, qui exerce en Frise, dans les trente premières années du XVIIIe siècle et dont le « Memory-Boeck » permet de connaître la clientèle et la pra­tique quotidienne.

Au cours des XVIe et XVIIe siècles, ces sages-femmes urbaines, de plus en plus contrôlées par les chirurgiens et mises au service des pouvoirs publics et religieux, deviennent un instrument de contrôle moral et social : elles doivent lutter contre l'illégitimité (en arrachant le nom du père aux filles-mères dans les douleurs de l'enfantement), contre la sorcellerie (les nouveau-nés et les avortons constituent un des ingrédients de base des mixtures démo­niaques) et plus tard contre l'hérésie réformée (en dénonçant les baptêmes pro­testants). Jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, leur formation professionnelle est très insuffisante ; dans toute l'Europe, il n'existe qu'une seule véritable école, celle de la Maternité de l’Hôtel-Dieu de Paris. Sous la direction d'une maîtresse sage-femme, les élèves-apprentisses (six ou sept à la fois) y reçoivent pendant trois mois un enseignement pratique, au lit des femmes pauvres qui viennent accoucher à l'Hôtel-Dieu : elles assistent et participent en moyenne à 300 ou 400 accouchements et ont donc une réelle compétence à la fin de leur formation, quand elles reçoivent le titre envié de « sage-femme de la Mater­nité ». Cette formation de qualité (recher­chée même par des étrangères) est réservée malheureusement à une infime minorité (une vingtaine par an, puis une cinquan­taine, après une réforme intervenue en 1735) et ne permet même pas de satisfaire les demandes des grandes villes, sans parler des campagnes qui demeurent le domaine des matrones sans formation.

La mise en place de politiques de santé publique volontaristes se fait à partir des années 1750, sous l'influence des théories populationnistes. L'Église elle-même est désormais soucieuse de sauver les corps autant que les âmes : évêques, curés, avec l'appui du grand pape Benoît XIV, mènent le combat aux côtés des pouvoirs publics (dont le fameux contrôleur général Bertin), pour que les femmes en couches et les nou­veau-nés ne meurent plus en si grand nombre, entre les mains sales et inexpertes des matrones de village. Un violent réquisi­toire est lancé contre elles : parti d'Angle­terre, il s'étend à la France et à toute l'Europe dans les années 1760. L'améliora­tion des conditions de la naissance passe désormais par la formation de nouvelles sages-femmes, grâce à des cours d'accou­chement nombreux et décentralisés.

En France, l'impulsion vient d'une femme providentielle, madame Du Coudray, dont le « Tour de France » des cours d'accouchement de 1759 à 1783, est bien connu : avec brio et précision,

J. Gélis nous trace le portrait haut en couleur de cette maîtresse femme, qui a réussi à béné­ficier d'une pension considérable de 8 000 livres, et su innover en matière pédago­gique (avec son manuel et son célèbre man­nequin, dont deux photos sont données). Après elle, plus de deux cents démonstra­teurs assurent la continuation de la forma­tion jusqu'en 1800 (la carte de la page 126 montre le fin réseau de cours, étendu à l'ensemble du territoire). Deux chapitres très précis expliquent l'organisation des cours, après le passage de la mission Du Coudray, par des chirurgiens ou médecins locaux, promus « démonstrateurs en l'art des accouchements », le recrutement des élèves et leur emploi du temps pendant la formation, les difficultés rencontrées sur le plan matériel et psychologique. L'ensei­gnement, malgré le recours à des méthodes visuelles et pratiques, reste encore large­ment simulé, puisqu'il n'a lieu que sur mannequins. A la fin du siècle, seulement, certains cours auront lieu au lit des accou­chées.

J. Gélis ne s'est pas contenté du dossier français des cours d'accouchement, pour­tant fort abondant. Avec précision, il a aussi reconstitué « la diversité euro­péenne » des cours, qui s'ouvrent partout, à partir de 1760. Deux modèles s'opposent : le français, organisé par les autorités pro­vinciales ou municipales, financé par des fonds publics et contrôlé par l'État est adopté en Italie du Nord, Suisse et Alle­magne (où émerge la grande figure du médecin Johann-Peter Frank, fondateur en 1779 d'une médecine sociale fortement étatisée). A l'opposé, on trouve le modèle anglais, où l'enseignement pratique est dis­pensé par cours privés, organisés par des accoucheurs renommés, dans de petits hos­pices de 20 à 80 places (à Londres, Edim­bourg et Dublin), financés par souscrip­tions publiques, auprès de riches particu­liers soucieux de philanthropie.

Un bilan des cours d'accouchement est tenté pour la France seule, à la lumière de l'enquête du Contrôle général de 1786 : au total plus de dix mille accoucheuses ont reçu un enseignement obstétrical à la veille de la Révolution, avec les disparités géo­graphiques attendues entre le sud qui a pris du retard, et le nord qui a bénéficié d'une formation plus précoce et plus complète. Même lorsqu'une sage-femme formée exerce dans une communauté, il arrive qu'elle soit rejetée, car elle représente sou­vent une manière d'agir et de penser pro­fondément étrangère aux traditions anciennes de mise au monde. La Révolu­tion, dans un premier temps, perturbe cette longue montée des compétences, en procla­mant une liberté professionnelle absolue et en arrêtant peu à peu les cours. La grande loi de l'an XI qui réorganise les professions de santé, institue des écoles de sages-femmes dans chaque département et sur­tout une grande école centrale de perfec­tionnement, de renommée internationale, à la Maternité de Port-Royal. Au xixe siècle, les effets pervers et la centralisation entraî­nent une suprématie incontestée de Paris et une formation très médiocre en province.

Le deuxième volet de la démonstration de J. Gélis est consacré à l'accoucheur, dont les progrès sont, pour les besoins de l'argumentation, séparés de ceux de la sage-femme, alors qu'en réalité, l'accou­cheur s'impose au moment même où les écoles forment davantage de bonnes accou­cheuses. Apparent paradoxe. Se révélant ici un historien des sciences d'une grande érudition, J. Gélis insiste d'abord sur la lente émergence d'une science des accou­chements : il rappelle l'histoire souvent farfelue des théories de la procréation et montre les progrès du deuxième xvne siècle (découverte des spermatozoïdes en 1677) et du XVIIIe siècle (observations fines sur l'embryon animal, intuition d'un patri­moine génétique, tentatives d'insémination artificielle). L'obstétrique, depuis la mathématisation de la nature au xvne siècle, fait de réels progrès, avec les mesures précises du bassin et de l'utérus et la constitution d'une typologie des « présentations » et des « positions » d'accouchement, à partir de séries statisti­ques, élaborées dans les grands hôpitaux. A la fin du XVIIIe siècle, elle est devenue une spécialité médicale à part entière.

Vers 1730, date charnière, autour des deux grands praticiens que sont Levret et Smellie, apparaît en Angleterre, en France, en Hollande, en Allemagne et en Italie, une génération d'accoucheurs qui transfor­ment les conditions de la naissance et constituent véritablement une « Europe des accoucheurs », dont J. Gélis recons­titue avec précision la géographie, grâce à l'analyse des contacts internationaux : importance du « grand tour obstétrical » dans la formation de la plupart des jeunes praticiens ; rayonnement européen de l'école clinique de Strasbourg, créée en 1728 sous l'impulsion du chirurgien Jean-Jacques Fried, dont l'enseignement très moderne est imité dans toute l'Europe du Nord et de l'Est ; contacts personnels entre accoucheurs ; participation à des concours de sociétés savantes, traductions, etc. De grands débats agitent ce petit monde, par exemple celui sur les césariennes ou les symphyséotomies. Autre débat plus fonda­mental encore : faut-il ou non privilégier les instruments (forceps et levier) ? Les accoucheurs français s'en servent volon­tiers, dans leur volonté conquérante de supplanter les matrones qui en sont réduites à la main nue. Au contraire, les Anglais, après une grande campagne d'opi­nion publique dans les années 1760, sont devenus plus prudents, conscients des limites de la technique et de ses effets secondaires nocifs. Les clivages de l'Europe obstétricale reflètent ainsi curieu­sement ceux de l'Europe politique.

Comment expliquer le passage de l'accouchement par des femmes à l'accou­chement par les hommes ? Comment ce changement fondamental a-t-il été vécu par les parturientes ? La réponse de J. Gélis est nuancée : il a depuis longtemps rejeté l'explication féministe simpliste, selon laquelle ce serait là une prise de pouvoir des hommes sur le corps des femmes. En réa­lité, ce changement, qui implique une véri­table révolution dans la conception de la décence'et de la pudeur féminines incul­quées par l'Église catholique et intériori­sées au plus profond de chacune, n'aurait pu se faire sans un minimum de consente­ment de la part des principales intéressées. C'est bien la demande sociale qui est à l'ori­gine de tout : petit à petit, des femmes de plus en plus nombreuses ont refusé de mourir en couches ou de souffrir pour mettre au monde un enfant mort-né ; l'accoucheur, avec sa force, sa science et surtout ses instruments, représentait une sécurité, par rapport à l'ancienne matrone, dont la présence rassurait certes, mais dont le rôle était plus d'accompagnement que d'intervention, et même par rapport à la nouvelle sage-femme qui a très vite été interdite d'instruments et confinée dans la gestion des accouchements naturels.

A partir de cette explication bien argumentée, J. Gélis nous entraîne dans une éblouissante troisième partie, consacrée à la formation d'«une nouvelle conception de la vie», qui clôt en apothéose le par­cours entamé au début du premier livre. Pour comprendre les mutations de l'his­toire de la naissance, il faut voir que les per­ceptions du corps, de la vie et du monde ont changé entre la fin du Moyen Age et l'époque des Lumières. Ce parcours tous azimuts (parfois un peu inattendu, mais toujours fermement mené) nous conduit à l'avènement de l'individualisme dans les sociétés urbaines des XVIe et XVIIe siècles : le citadin veut désormais disposer pleine­ment de son corps, devenu autonome par rapport au grand corps collectif du lignage. Corps à soi, mais aussi corps fragile qu'il faut préserver, soigner, faire durer le plus possible. D'où une demande sociale de soins qui n'émane pas seulement de la femme en couches, mais de la société tout entière. C'est dans ce cadre élargi qu'il faut replacer l'appel à l'accoucheur et com­prendre aussi la valorisation de l'amour conjugal et la place nouvelle faite aux enfants, dans des familles où l'on commence à pratiquer la contraception : on veut les faire naître désormais, non plus pour assurer la continuité du cycle vital, mais pour les aimer et en être aimé. Belle démonstration, qui nous amène une fois le livre refermé, à réfléchir aux racines et aux perversions de notre individualisme contemporain.

Quelques réserves mineures cependant : la démarche justement anthropologique de J. Gélis le conduit à écrire une histoire de l'accouchement avant tout sociale et humaine. Il ne croit guère aux progrès continus et glorieux de la science médicale, mais cela le conduit peut-être à une vision trop pessimiste de l'innovation. Il aurait aussi pu insister davantage sur les consé­quences démographiques de la médicalisa­tion de l'accouchement. Peut-on écrire : « l'accouchement n'était aux siècles passés ni " meilleur " ni " pire " qu'aujourd­'- hui : il était simplement différent » (p. 12) ? C'est faire trop peu de cas des innombrables vies sauvées, aujourd'hui par rapport à hier. Et c'est précisément au XVIIIe siècle que la survie des mères et des bébés a commencé à s'améliorer : il est dommage qu'il déclare rapide- ment qu'« assurément, ni les sages-femmes formées ni les accoucheurs ne sont parvenus à faire baisser de manière significative la mortalité des femmes et des jeunes enfants » (p. 196). Il est pourtant certain (cf.Histoire de la population française t.2, PUF 1988) que cette mortalité a baissé dans la deuxième moitié du XVIII siècle en partie sans doute à cause de la médicalisation de la naissance."

Marie-France MOREL


Rappel
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