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PERINATALITE

Périnatalité & Démographie... :  la naissance et son rituel dans la société d’Ancien Régime
Périnatalité & Histoire......... les naissances : les matrones et les sage-femmes
Périnatalité & Sociologie 1.....:  l’infanticide et la mortalité infantile
                                         les abandons d'enfants et l'hôpital des Enfants-Trouvés
                                         les enfants abandonnés au 18ème et 19ème siècles en Europe
                                         la recherches des parents d'un enfant trouvé
Périnatalité & Sociologie 2....  l'allaitement maternel, croyances et idées
                                         le métier de nourrice et l’industrie nourricière, en France
                                         le tétaïre : un métier ahurissant
                                         le meneur                               
Périnatalité & Sociologie 3 : les dessous étymologiques

                               PERINATALITE & SOCIOLOGIE 3 : compléments

                          LES DESSOUS ETYMOLOGIQUES DE LA SAGE–FEMME Michèle Lenoble-Pinson (1) et Fernand Leroy (2)

               (1) Philologue, professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles.
               (2) Gynécologue obstétricien, professeur honoraire à la Faculté de Médecine deL’Université libre de Bruxelles.

Introduction

  La gynécologie obstétrique a ceci de particulier que, depuis ses origines préhistoriques, cette activité a été essentiellement aux mains des femmes et ce pratiquement jusqu’au XVIIe siècle. La grossesse et l’enfantement, aussi bien que les maladies propres à la gent féminine, se géraient dans un monde relativement fermé de matrones qui transmettaient leur savoir de génération en génération d’une façon exclusivement orale. Les hommes n’étaient que rarement impliqués, lorsque s’imposait l’une ou l’autre manoeuvre de force qui dépassait les possibilités physiques féminines. Depuis des temps reculés, l’élément masculin était systématiquement écarté comme l’indique, par exemple, le « Conte des enfants de Rê » relaté dans le papyrus égyptien dit de Westcar (1700 av. J.C.) où le mari se voit claquer au nez la porte de la chambre d’accouchement. Quoi d’étonnant, dans ces conditions, que ces femmes aient développé un vocabulaire particulier pour désigner les éléments particuliers de leurs activités.
A titre d’exemple, nous citerons, sans toutefois l’analyser en détail, le libellé d’un constat de défloration qui, établi au XVIe siècle par trois sages-femmes parisiennes, en dit long sur le caractère ésotérique des termes anatomiques qui avaient cours dans ce contexte :
« Nous, Marion Teste, Jeanne de Meus, Jeanne de la Guigans & Magdeleine de la Lippüe, Matrones-Jurées de la ville de Paris, certifions à tous qu'il appartiendra, que le 14e jour de Juin 1532, par l'ordonnance de Monsieur le Prévôt de Paris, ou son lieutenant en ladite ville, nous nous sommes transportées en la rue de Frépaut, où pend pour enseigne la Pantoufle où nous avons vu et visité Henriette Pélicière, jeune fille âgée de quinze ans ou environ, sur la plainte faite par elle en Justice contre Simon le Bragard, duquel elle a dit avoir été forcée & déflorée. Et le tout vu & visité, au doigt et à l’œil, nous trouvons qu'elle a les barres froissées1, le haleron démis2, la dame du milieu retirée3, le pouvant debiffé4, les toutons dévoyés5, l'entrechenart retourné6, la babole abattue7, l'entrepet ridé8, l'arrière fosse ouverte9, le guilboquet fendu10, le lippion  recoquillé11, le barbidaut tout écorché12, le lipendis pelé13, le guilhivard élargi14, les balunaus pendans15. Et le tout vu & visité feuillet par feuillet, avons trouvé qu'il y avait trace de ... Et ainsi, nous dites Matrones, certifions être vrai, & à vous Monsieur le Prévôt, au serment qu'avons à ladite ville".
traduction :
1 : l'os pubis ou Bertrand 
2 : les Nymphes ou petites lèvres 
3 : l'hymen 
4 : la partie féminine appelée le pouvant parce qu'elle peut tout 
5 : la gorge flétrie
6 : les membranes qui lient les caroncules les unes aux autres
7 : les nymphes
8 : le périnée  
9 : l'orifice interne de la matrice
10 : le col de la matrice
11 : le poil
12 : le clitoris
13 : le bord des grandes lèvres
14 : le vagin
15 : les lèvres de la vulve
                                          (Laurent Joubert,1578)
 
  Il convient de remarquer qu’aucun de ces termes anatomiques n’est retrouvé dans les traités de l’époque, publiés en français par divers chirurgiens barbiers intéressés par l’art des accouchements et les maladies des femmes (cf Ambroise Paré, 1584 ; Jean Liebaut, 1617 ; Charles Guillemeau, 1642).
Il nous a paru justifié, dès lors, de nous livrer à un recensement et, dans la mesure du possible, à une analyse étymologique, des termes anciens et obsolètes qui prévalaient autrefois dans la nomenclature gynéco-obstétricale.
  Dans ce premier article seront abordés les termes qui désignaient en français les protagonistes féminines et ensuite les professionnels masculins dans ce domaine, tout en débordant d’ailleurs quelque peu sur leurs équivalents dans diverses autres langues d’origine latine ou germanique.

Les bases étymologiques

Depuis le XIIe siècle, comment appelle-t-on la femme et ensuite l’homme dont la profession est de pratiquer des accouchements ? Que signifient ces noms ? Quelle est leur histoire ?
Au fil des siècles, la même réalité est désignée de manières différentes.[...] Ainsi, les deux ouvrages attribués à maestra Trotula, femme-médecin de l’école de Salerne au XIe siècle, sont-ils rédigés en latin sous les titres : De ornatu mulierum (Comment rendre les femmes belles) ou Trotula minor et De passionibus mulierum ante, in et post partum (Les maladies des femmes avant, pendant et après l’accouchement) ou Trotula maior (Leroy, Histoire de Naître, 2002, pp. 103-104).
En revanche, en tant que langue populaire, l’ancien français disposait d’un vocabulaire très riche, surtout dans les domaines de la vie courante, sociale, militaire et des sentiments. Il n’est donc pas étonnant de trouver dans les textes français, dès le XIIe siècle, des mots qui expriment la naissance et ce qui l’entoure.

Accoucher - accouchement - accoucheuse

Comment s’appelaient les femmes qui accouchaient ? Lorsque le nom d’une personne qui agit, donc un « agent », dérive d’un verbe, il convient de commencer par l’examen de ce verbe. En l’occurrence, c’est le verbe accoucher qui s’impose.
Bien que le verbe intransitif accoucher existât en français depuis le XIIe siècle (vers 1160), il ne s’employait pas pour la naissance. Jusqu’au XVIe siècle, accoucher n’a signifié que « se coucher, s’aliter ». Couche, d’abord écrit culche (vers 1170), désignait le lit. Ensuite seulement, le verbe accoucher a pris le sens de « s’aliter pour mettre un enfant au monde » - ce qui paraît un peu curieux si l’on songe que l’accouchement proprement dit se passait le plus souvent en position assise ou accroupie (Leroy, op.cit. p. 92) (Figure 1). Quoi qu’il en soit, accoucher supplante alors l’ancien verbe gésir et la locution être en gésine. La construction transitive accoucher une femme au sens d’«aider une femme à accoucher » est encore postérieure et date du XVIIe siècle (1671).
Le nom accouchement, qui date lui aussi du XIIe siècle (vers 1190), a connu la même évolution que le verbe accoucher. Il a désigné d’abord la seule « action de s’aliter » (1447) pour évincer ensuite le terme gésine et prendre le sens obstétrical que nous lui connaissons.

Gésir d’un enfant, être en gésine

 Dès le XIIe siècle (vers 1180), sont attestés dans les textes la locution gésir d’un enfant, qui signifie «accoucher d’un enfant», et le composé agésir. En ancien français, on rencontre aussi la locution en gésine, signifiant «en train d’accoucher». Tous ces mots appartiennent donc à la famille du verbe « gésir ».
Le verbe gésir dérive du latin classique jacere, « lancer, jeter ». Sa famille comporte une racine indoeuropéenne qui signifie     «jeter». Gésir signifie proprement « être dans l’état d’une chose jetée », d’où «être couché, être étendu». Mais dans le vocabulaire de la naissance, la construction gésir d’un enfant, désigne une action qui s’exprimerait par «jeter, se délivrer» (d’un enfant). La position de la parturiente ne serait donc pas impliquée. L’usage de gésir d’un enfant et d' «être en gésine» ne disparaîtra qu’en français classique, c’est-à-dire au XVIIe siècle.

Accoucheuse - ventrière

Au XVIIe siècle, lorsque s’installe le verbe accoucher, apparaît le nom de l’agent, c’est-à-dire le nom de la personne qui agit, qui accouche la femme. Dérivé du verbe, le nom est d’abord attesté au féminin : accoucheuse existe en français depuis 1671. 
L’équivalent masculin accoucheur sera enregistré quelques années plus tard (1677).
Ventrière fut le premier nom français de la sage-femme. Ventrière et ventrée sont de très anciens mots français. Dérivés du latin venter, qui désigne le « ventre », ils sont apparus en français dès le XIIe siècle. Ainsi, « Les premières sages-femmes officiellement reconnues dont on a pu retrouver l’identité furent Mabille la Ventrière et Emeline Dieu la Voie, désignées matrones jurées du prieuré de Saint Martin des Champs en 1333 » (Leroy, op.cit., pp. 107-108). Avant elles, en 1292, sous Philippe le Bel, il y eut aussi, Michièle la ventrière.
Ventrière s’est dit pour sage-femme pendant près de trois siècle, de 1200 à 1480 environ (FEW, XIV, 250 a). Sous Louis XI (1423-1483), ventrière s’emploie conjointement avec matrone : « Icelle Perette declaira lors qu’elle estoit grosse, par quoi fut de rechief differé de l’executer ; et fut fait visiter par ventrières et matrosnes, qui rapporterent à justice qu’elle n’estoit point grosse » (Chron. Scand. De Louis XI, p.6). Au XIVe siècle, au dernier étage de l’Hôtel-Dieu de Paris, une section dénommée « Office des accouchées » comportait vingt-quatre lits. Dans chaque lit se trouvaient deux ou trois femmes, chacune avec son bébé. Leurs accouchements avaient été pratiqués par « des matrones désignées à l’époque comme ventrières. Vers la fin du XIVe siècle, oeuvraient ainsi à l’Hôtel-Dieu une maîtresse et une ventrière de accouchées (Leroy, op.cit., p. 106).
Quant à ventrée, il se disait du fruit du ventre d’une femme, en particulier du ou des « enfants dont une femme a accouché en une seule grossesse » : « Voilà deux enfants jumeaux, qui sont d’une même ventrée (Antoine Furetière, Dictionnaire universel, 1690). [...]« Esaü et Jacob sont frères engendrez de mesmes parens, d’une mesme ventrée » (attestation du XVIe siècle, citée par Littré dans son Dictionnaire de la langue française). Il s’agit en l’occurrence de faux jumeaux car, d’après la Bible, Esaü était poilu et vigoureux tandis que Jacob avait la peau lisse et était de constitution plus fragile.

Sage-femme - matrone - obstétricienne

Sages -femmes

On appelle sage-femme celle dont la profession est d’assister les femmes en couches. Sage vient du latin sapiens en passant, au XIIe siècle, par les formes saige et saive. Sapiens, dérivé du verbe sapere, « savoir », désigne donc celle ou celui « qui a la connaissance des choses ». Le mot sage signifie donc en l’occurrence « experte, habile dans son art ». 
Sage-femme existe en français depuis 1375.
Au XIVe siècle, « pour devenir sage-femme accréditée, il fallait passer un examen devant certaines de ses paires déjà reconnues en présence de deux représentants de la municipalité et des guildes pour prêter ensuite serment d’allégeance aux règles de la profession (…). En 1424, à Bruxelles, il y avait cinq sages-femmes principales chargées de la formation et de l’examen des sages-femmes jurées ordinaires. (…) Pour être reconnue, trois années d’apprentissage auprès d’une sage-femme expérimentée étaient requises » (Leroy, op.cit. pp. 107 et 108).
Du XIVe au XVIe siècle, des sages-femmes sélectionnées sont accréditées et rémunérées pour effectuer des expertises à caractère médico-légal telles que constat de viol ou certificat de virginité. La virginité de la pucelle d’Orléans fut ainsi attestée par des sages-femmes. Le langage obscur du constat de viol cité dans l’introduction montre combien la médecine de la femme est cantonnée dans un monde à part qui n’est accessible qu’aux initiées.
« Les identités de nombreuses sages-femmes des XVIe et XVIIe siècles, en particulier lorsqu’elles avaient reçu leur formation à l‘Hôtel-Dieu de Paris, nous sont connues. La plus célèbre d’entre elles est incontestablement Louise Bourgeois (1563-1636) qui fut l’accoucheuse de Marie de Medicis, épouse d’Henri IV (figure 2) (…).Elle est connue pour avoir été la première sage-femme auteur d’écrits obstétricaux de quelque intérêt » (Leroy, op.cit., p. 170). Voulant écarter la foule des courtisans du lit de la reine qui venait de mettre au monde le dauphin (futur Louis XIII), elle s’entendit dire par le Vert-Galant : « Tais-toy, tais-toy, sage femme, ne te fasches point ! Cet enfant est à tout le monde, il faut que chacun s’en réjouisse ! »

Matrones

Matrone vient du latin mater, matris qui signifie «mère». Dans le sens de «sage-femme», le mot matrone existe en français depuis le XIVe siècle. Il est attesté pour la première fois en 1340 dans Le Miracle de Nostre Dame et sera encore usité dans ce sens à la fin du XVIIe siècle. Madame de Sévigné l’emploie dans une lettre datée du 6 septembre 1671.
En 1690, dans son Dictionnaire Universel, Antoine Furetière introduit les termes de gynécologie par « en termes de matrone ». Voici comment il définit le mot matrone lui-même : «Matrone est aussi le nom de celle qu’on appelle proprement Sage-femme, qui a estudié en Anatomie, qui est examinée par les Juges de Police & par les Officiaux, dont chacun d’eux lui donne une commission et un titre pour pouvoir accoucher les femmes enceintes, visiter les filles déflorées, & ceux qu’on accuse d’impuissance, pour être Juges de congrès & en faire rapport en Justice, où pour cet effet elles font serment. On a ordonné que cette fille seroit vue et visitée par les Jurées Matrones. Il y a de ces rapports de Matrones inserez tout au long dans le livre de Laurent Joubert célèbre Médecin de Montpellier, qui sont très curieux à voir». Au XVIIIe siècle, Voltaire évoque une «matrone experte» dans l’article Impuissance de son Dictionnaire philosophique : «Je commence par cette question en faveur des pauvres impuissants, frigidi et maleficiati, comme disent les Décrétales : Y a-t-il un médecin, une matrone experte qui puisse assurer qu’un jeune homme bien conformé qui ne fait pointd’enfants à sa femme, ne lui en pourra pas faire un jour ? La nature le sait, mais certainement les hommes n’en savent rien. Si donc il est impossible de décider que le mariage ne sera pas consom- mé, pourquoi le dissoudre (Note : on retrouve ici la confusion encore fréquente entre impuissance et stérilité masculine).
La matrone jurée a donc des connaissances en anatomie qui la rendent apte non seulement à pratiquer les accouchements, mais aussi à effectuer des expertises médico-légales en matière de viol, de virginité ou de mariage non consommé.
Il n’est pas sans intérêt, nous semble-t-il, d’examiner brièvement ici quelques vocables utilisés dans diverses langues étrangères européennes pour désigner la sage-femme :
- en italien, on utilise actuellement le terme levatrice, c’est–à-dire celle qui «soulève» ou qui «enlève» l’enfant.
Anciennement existait l’appellation
«commare» (commère) ou «raccoglitrice», ce dernier terme provenant du verbe             «raccogliere» signifiant ramasser, récolter, accueillir.
- en espagnol , «sage-femme» se traduit par «comadrona, comare ou matrona» dont les étymologies sont assez claires ou encore «partera» dérivé du mot latin «partu» désignant l’accouchement et faisant référence à la séparation physique de l’enfant d’avec sa mère.
- en anglais, le terme «midwife» comprend le préfixe «mid» qui signifie «avec» («mit» en allemand et «met» en néerlandais) , insistant par là sur la notion du rôle d’accompagnement de la sage-femme.
- en langue allemande, sage-femme se dit «Hebamme» qui dériverait de l’ancien allemand «Heviana» et «Hevanna»(de «heben» = tenir et «ana» = grand-mère). A noter qu’en dialecte alsacien on emploie encore le mot «Hewamm» pour désigner la sage-femme.
- en néerlandais prévaut le mot «vroedvrouw», apparenté au terme «vroed» qui signifie «prudent». Il existe également le terme «baker» qui désigne la garde de l’accouchée.

Obstétricienne

Enregistré en français depuis 1803 seulement, le mot obstétrique est un dérivé savant du latin obstetrix, obstetricis qui désigne la «sage-femm» depuis Plaute. Il est composé du préfixe ob- qui signifie «devant» et du verbe stare, «être debout», parce que la sage-femme se tient devant le périnée de la parturiente pour recevoir l’enfant. Ce pourquoi elle ne reste pas nécessairement debout d’ailleurs (cfr figure 1). La forme féminine obstetrice existait en moyen français (1515) et le suffixe -ique est dû à l’influence de termes scientifiques comme botanique, par exemple. L’obstétrique est la technique, la science de l’accouchement. L’anglais dispose de obstetric (adjectif) depuis 1742. Le nom anglais féminin obstetrics est postérieur à son équivalent français. Le mot français obstétrique a produit les termes obstétricienne, obstétricien qui désignent le médecin spécialisé en cette matière. Le plus souvent, dans l’usage celui-ci est appelé gynécologue, parce que le « médecin des femmes » s’occupe souvent des accouchements. La langue anglaise dispose de obstetrician depuis 1828. En français, on entend parfois utiliser le vocable d’obstètre, mais celui-ci n’a pas reçu de reconnaissance officielle.

L’accoucheur masculin

L’intrusion de l’élément masculin dans la chambre d’accouchement a fait l’objet d’une lutte et d’une rivalité professionnelle entre les sexes qui se sont étalées sur les XVIIe et XVIIIe siècles. Dans cette bataille le rôle des maîtresses royales qui préféraient se faire accoucher par un homme fut loin d être négligeable. En France, l’un des derniers adversaires de l’accoucheur masculin fut Philippe Hecquet (1681-1737), médecin renommé en son temps qui publia un opuscule qui traite De l’indécence aux hommes d’accoucher les femmes (Leroy, op.cit., p. 196).

L’homme sage-femme

La difficulté de trouver ou de créer un nom masculin correspondant à sage-femme ne date pas des années 1970. Au XVIIIe siècle, « outre-Manche », les premiers accoucheurs masculins se virent bientôt affubler du sobriquet intersexué de Man-midwife (homme sage-femme ou homme accoucheuse) (…) » (figure 3). L’un d’entre eux, John Maubray, considérait à juste titre qu’il s’agissait d’un contresens et qu’il fallait le remplacer par le vocable abscons d’andro-boethogéniste («aide masculin des femmes ») (Leroy, op.cit., pp. 184-185). L’appellation intersexuée apparaît dans le titre d’une ballade populaire intitulée : The Man-midwife unmasked (« l’homme sage-femme démasqué) (Leroy, op.cit. p. 200) où l’on stigmatise une fois de plus la promiscuité sexuelle, prétendument inévitable, entre la parturiente et son accoucheur.

Le maïeuticien

Voici un beau néologisme ! Un mot nouveau né en 1980, forgé par l’Académie française pour désigner les hommes qui, à partir des années 80, ont opté pour la profession obstétricale. Maïeuticien est un dérivé savant du grec maieutikê (tekhnê), qui désigne l’art de faire des accouchements. C’est de là que dérive également le mot maïeutique qui désigne la méthode d’instruction philosophique qui permettait à Socrate d’extraire de ses disciples les idées, tout comme sa mère, sage-femme de son état, extrayait les nouveau-nés du ventre de leur mère. En obstétrique, ce terme souligne le caractère scientifique et professionnel de la fonction et s’est rapidement vu déformé ironiquement en «mailloticien».
Dans la neuvième édition de son Dictionnaire en cours de publication, l’Académie propose également la forme féminine de maïeuticienne, mais dans l’usage le mot ne s’emploie jusqu’ici qu’au masculin et même dans ce cas, le terme est peu vivant. Le néologisme sage-homme ou sagehomme semble par contre envisageable.

Le parturologue

Depuis 1903, le mot savant de parturiente se dit de la femme qui accouche. Il dérive du bas latin parturire , «être en couches», qui vient du latin classique parere, «produire». Le nom français parturition, « action d’accoucher », correspond à l’anglais parturition (1646). Jean Bossy cite le dérivé parturologue dans sa « Grande aventure du terme médical » (1999, p. 395), mais constate que le terme sage-femme prévaut pour les deux sexes.

Conclusion

Le rôle de la sage-femme et de l’accoucheur a de tout temps revêtu une importante charge symbolique. En effet, mettre au monde un enfant met en cause le sens même de notre existence et témoigne de notre foi en l’avenir. Le foisonnement des termes utilisés dans ce contexte n’a dès lors rien de surprenant. Ceux qui désignent les protagonistes de l’événement sont particulièrement prégnants ; ils impliquent l’aide, l’accompagnement et le savoir nécessaire pour mener à bien un événement particulièrement important.
Au travers des mots se dessinent, par ailleurs, certains aspects de l’histoire de la discipline obstétricale, le langage utilisé ayant évolué de l’ésotérisme des matrones médiévales vers un mode d’expression plus populaire, pour aboutir enfin à une terminologie éclectique et de caractère scientifique. Cette évolution témoigne, d’autre part, de l’avènement tumultueux de l’accoucheur masculin.
Lenoble-Pinson & Leroy

Rappel
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Périnatalité & Sociologie3 :  les dessous étymologiques 

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